Lorsqu’il s’agit de controverses scientifiques et de fabriques de doute, les médias et les relations publiques jouent un rôle primordial dans la confusion qui peut s’installer dans l’imaginaire collectif. Ce rôle est quasiment aussi important que celui joué par nos propres biais dans le traitement de l’information qui nous parvient. Un exemple flagrant est celui de Big Tobacco. Aujourd’hui, cette histoire est souvent abordée pour discuter de la manière dont une industrie peut détourner la science à son profit, et est prise en exemple pour illustrer nos controverses actuelles. Pourtant lorsqu’on se penche sur le sujet, on se rend finalement compte que non seulement la controverse n’existait pas vraiment au sein de la communauté scientifique, à l’époque où la nocivité du tabac faisait déjà bien consensus, mais qu’en plus cette controverse tenait plus ou moins debout seulement grâce à un jeu de communication et de relations publiques. Attention, ça ne signifie évidemment pas que les cigarettiers n’avaient pas investi dans des études biaisées ou dans des cautions scientifiques peu scrupuleuses. L’industrie du tabac a évidemment joué la carte de la science. Cependant, non seulement cela ne changeait pas le consensus au sein de la communauté scientifique, mais en plus leur communication et éléments de langage étaient principalement basées sur le fait qu’il ne fallait justement pas trop s’opposer à la science pour être efficace. Tout cela, nous en avons parlé dans une vidéo, et l’article de la Théière Cosmique est déjà bien complet également.
Si nous revenons à nos jours, nous remarquons qu’une affaire assez discrète se déroule de manière assez similaire à Big Tobacco : le vin. Cette boisson est en France synonyme de patrimoine, de gastronomie, de richesse culturelle et historique. Elle bénéficie d’une image vraiment différente des autres boissons alcoolisées. S’ajoutent à cela les nombreuses vertus qu’on lui attribue. En effet, qui n’a pas entendu dire que le vin était un antioxydant ? Qu’une consommation raisonnée permettait de prévenir les maladies cardio-vasculaires ? Bref, la science en aurait dit énormément de bien, alors qu’en réalité… non. Les professionnels de santé et les scientifiques sont aujourd’hui unanimes sur le fait que le vin est une boisson alcoolisée comme les autres et que ces nombreuses vertus sont fortement exagérées, pour ne pas dire assez improbables. Du coup… pourquoi le vin est quand même mis à part ? Et bien, comme avec Big Tobacco, discutons un peu de tout cela.
L’alcool en général
Avant de nous concentrer sur le cas du vin, on va parler plus généralement de l’alcool, et plus particulièrement d’éthanol. En laboratoire, ce produit a beaucoup d’utilités : nettoyer des surface, sécher d’autres composés ne réagissant pas avec, précipiter ou sédimenter des biomolécules, éviter les contaminations d’échantillons sur les paillasses car toxique pour beaucoup de microorganismes quand c’est assez concentré… Et on en met également dans des bouteilles en rayon pour que des gens puissent en boire…
A elle seule, cette molécule contribue à plus de 40 000 morts par an en France. Elle est la drogue qui tue le plus dans le monde et est responsable d’un grand nombre de blessés et de handicaps devant l’héroïne, la cocaïne et autres joyeusetés – oui, vous avez bien lu, drogue, car même si c’est une molécule différentes des psychotropes classiques, elle entraîne une accoutumance due à son effet désinhibiteur et anesthésiant, en réduisant l’activité électrique des neurones puis en détruisant leur membrane. D’ailleurs, la consommation chronique d’alcool entraîne une dégénérescence de structures cérébrales comme le cortex et le cervelet. Le CIRC a classé l’éthanol en tant que cancérigène certain, dans le groupe 1. Indépendamment de l’exposition, nous savons donc que cette molécule est impliquée dans des mécanismes liés à la cancérogenèse.
Son usage récréatif vient de ses effets euphorisants et désinhibants procurant l’ivresse. Vodka, tequila, whisky, bière, cidre, rhum etc… l’éthanol est le dénominateur commun de toutes ces potions. Ce qui change, c’est la matière première, qui va ensuite être fermentée, macérée ou distillée pour obtenir l’alcool. Et bien sûr l’aromatisation et la concentration changent aussi selon les breuvages. On le répète, quel que soit le processus, à la fin on a de l’éthanol, l’agent responsable de nombreux troubles et risques sanitaires, comme il est présenté par les agences sanitaires et les acteurs de la santé publique.
Avant de poursuivre, gardez-une chose en tête : quelque soit le procédé de production, de la distillation à la fermentation en passant par la macération, on obtient de l’éthanol. Alors qu’on ne s’y trompe pas, ces termes – et notamment la macération – sont souvent utilisés pour masquer la teneur d’alcool mais il n’en est rien.
Et le vin ?
Comme dans sa fabrication on fait intervenir la fermentation pour transformer le sucre du raisin en alcool, c’est sans doute possible une boisson alcoolisée. Il contient autant d’alcool que plein d’autres boissons alcoolisées comme la bière ou même du cidre assez fort. Cela paraît certes trivial, pourtant on pouvait encore lire ici et là que boire un verre de vin chaque jour aurait des vertus pour le cœur et pourrait prévenir le diabète… Nous l’avons tous entendu je pense, qu’une consommation raisonnée de vin peut avoir des bienfaits. Et pour ces raisons, l’industrie du vin insiste sur le fait que le vin n’est pas juste une boisson alcoolisée. Cela semble paradoxal, et ça ne vient pas de nul part.
Le French Paradox
Le terme de French Paradox trouve son origine en 1981, avec les français Ducimetière, Cambien et Richard qui ont comparé les taux d’incidence de maladies cardiovasculaires dans le sud de la France avec ceux du reste du territoire et des US. Alors que le régime « méditerranéen » est riche en matière grasse et inclut une consommation d’un peu de vin, on observe chez les personnes suivant cette alimentation une faible incidence de maladies cardiovasculaires en comparaison avec les autres régions, ce qui en effet paraît paradoxal. Ce paradoxe semble avant tout être une anomalie statistique, et d’ailleurs les auteurs de l’étude n’ont ni relevé la consommation de vin dans l’histoire, ni conclu mordicus qu’il y avait un lien causal entre consommation de matière grasse et faible taux de maladies cardiovasculaires. De plus, le terme n’est même pas d’eux.
Dans ce cas pourquoi parle-t-on de French paradox ? En fait, le terme a été repris en 1986 dans La Lettre de l’Office internationale du vin qui détourna l’étude sus-citée en s’autorisant quelques extrapolations : le vin serait le principal contributeur à la faible incidence de maladies cardiovasculaires observée. Elle ira même plus loin en parlant abusivement d’effets bénéfiques sur la santé en générale (et pas seulement au niveau cardiaque). A partir de ce moment, les écarts se creusent entre ce que disait réellement la science et ce qu’on lui faisait dire, et l’emballement commença dans les années 90, durant lesquelles les fameux effets antioxydants étaient vantés et médiatisés, créant ainsi ce paradoxe français.
Depuis, des dizaines d’autres études ont vu le jour, tout au long des années 90-2000, qui montreraient des effets bénéfiques pour le cœur et les vaisseaux, et qui permettraient d’expliquer ce paradoxe. Certains, pour ne pas dire la plupart, proposent l’implication de composés qu’on appelle « polyphénols », qui ont des propriétés antioxydantes et donc protectrices – on lit même parfois cardioprotectrice. Le plus connu est sûrement le resvératrol, un polyphénol contenu dans le vin rouge, auquel on attribue des propriétés en tout genre : anti-âge, fluidifiant les vaisseaux sanguins, anti-cancer… Même en étant prudent, les hypothèses selon lesquelles le vin aurait ces bénéfices sont tout de même assez défendues par les différents auteurs de ces études. Encore plus récemment, une étude parue dans le journal Gastroenterology en août 2019 suggérait un effet bénéfique du resvératrol sur la diversité du microbiote intestinal. Et évidemment la presse s’est enflammée.
La science manipulée ?
Quoi en penser ? Et bien, si on veut trouver des études qui vont dans le sens des bienfaits du vin, on en trouvera. Tout comme à l’époque, on pouvait trouver des études qui disaient que le tabac avait certaines vertus. Le fait est que ça ne changeait pas le consensus sur la cigarette, qui clamait ses méfaits, et c’est la même chose pour l’alcool. Ensuite, rappelons que les études précédemment citées sont essentiellement des études in vitro, ou bien consistent en des associations statistiques comprenant de multiples biais, facteurs confondant et corrélations sans liens causaux et donc très loin de la conclusion formelle. Déjà en 2005 on trouvait des méta-analyses qui remettaient en cause les analyses statistiques de quelques études antérieures concluant sur les bienfaits du vin, notamment en pointant du doigt quelques mésusages, comme le fait d’inclure dans le groupe « abstinent » des anciens buveurs, qui ont parfois arrêté à cause de pathologies ou de la vieillesse.
Si les associations statistiques ne sont pas nécessairement signes d’études aux conclusions douteuses, il est important de noter que les corrélations observées n’impliquent pas systématiquement une causalité entre les faits associés. Cela s’applique à l’étude de Ducimetière : dans les comparaisons entre le sud de la France et les Etats-Unis, relier l’incidence des maladies cardio-vasculaires à simplement la consommation de vin serait fallacieux car ce n’est pas le seul facteur différenciant les deux populations (la malbouffe, l’environnement, le cadre de travail, la consommation de produits transformés… sont également liés à la santé cardiovasculaire des populations).
French paradox : la fin d’un mythe ?
Si l’on s’interrogeait alors pour savoir si la consommation modérée d’alcool permettait vraiment de réduire les risques de maladie cardiovasculaire grâce aux polyphénols, il ne faut pas oublier que le vin contient de l’alcool, ce qui contrebalance les potentiels effets de ces polyphénols – fait rappelé par de nombreux auteurs dans leur article. Les dernières confirmations viendront tordre le cou à cette idée. D’abord en 2016, où une équipe démontra qu’en corrigeant le biais du groupe “abstinent”, les non-buveurs étaient en meilleurs santé que les consommateurs “modérés”. Ensuite en 2018, où une analyse systématique d’études parue dans le journal The Lancet portant sur la consommation d’alcool de plusieurs millions d’habitants de 195 pays sur une durée de 25 ans conclu :
[…] the level of consumption that minimises health loss is zero.
On augmente donc nos risques dès le premier verre, certes très faiblement, mais c’est loin de vouloir dire qu’un verre par jour est bon pour la santé, comme nous pouvions souvent lire et entendre. C’est consensuel et aujourd’hui tous les médecins et scientifiques se rangent derrière cette conclusion.
Pour autant, il y a toujours une certaine banalisation de la consommation du vin en France. Depuis plusieurs années, les discours publics, plutôt politiques, ont tendance à jouer sur certaines subtilités pour minimiser l’impact de l’alcool, et notamment du vin, sur la santé humaine. Et comme pour le tabac, s’opposer au consensus scientifique est peu convaincant, bien que certains continuent de jouer sur les soit-disant effets bénéfiques du resvératrol et sur le French paradox. Mais le succès de l’image du vin s’explique également par d’autres procédés, principalement marketing.
Une communication rodée… à base de sophismes
Remontons en 2013. Après l’annonce de mesures de durcissement en matière de publicité et de taxation de l’alcool, l’association « Vin et société » sort un site internet appelé « cequivavraimentsaoulerlesfrançais.fr », qui avait pour but de pointer du doigt une politique moralisatrice en matière de vin. On y dénonçait une atteinte à la conscientisation des consommateurs. D’après leurs propres mots : « Depuis des mois, nous sentons monter un courant moralisateur qui consiste à interdire et à déresponsabiliser les Français ». Difficile de ne pas y voir la fameuse « atteinte à la liberté des consommateurs » de Big Tobacco, n’est-ce pas ? Alors qu’en fait, les alcooliers, et notamment les acteurs du vin, sont surtout mis en difficulté par ce qu’en dit la science, plus que la morale.
Dès cette époque, les épidémiologistes, les médecins addictologues et les bénévoles engagés dans la prévention mettaient en garde contre la consommation d’alcool, sans distinction entre les alcools, donc vin y compris. Comme nous l’avons écrit précédemment : l’alcool reste de l’alcool, quelles que soient la moustache et la perruque que vous lui mettez. Face aux recommandations des experts, il devenait vraiment difficile de continuer à faire comme si de rien n’était, ou de compter sur le peu d’études allant dans ce sens, biaisées d’autant plus. De la même manière donc qu’avec le tabac, on essaie de défendre le produit qu’on vend comme on peut, sans trop s’opposer à ce qu’en dit la science. Ainsi, plutôt que d’exprimer son désaccord concernant la catégorisation du vin en tant qu’alcool au même titre que d’autres boissons alcoolisées, « Vin et sociétés » dira plutôt que le faire ce serait « mépriser l’histoire et le travail des 150 000 acteurs de la vigne et vin en France ».
En effet, le vin est ancré historiquement et culturellement un peu partout dans le monde occidental et particulièrement en France. Sans refaire toute l’histoire, la domestication de la vigne et la culture du vin existe depuis l’antiquité, et sont à l’origine de plein de mythes instaurés par les Romains notamment et de batailles de classification du vin durant tout le Moyen-Âge. Le lobby du vin ne va donc pas se gêner pour faire de l’argumentum ad antiquitatem – ou « appel à la tradition » – un procédé rhétorique consistant à construire son argument en mettant l’emphase sur l’antériorité et l’ancienneté d’une chose pour la légitimer. En gros, « on le fait depuis toujours, donc c’est forcément bon et on ne devrait pas changer les traditions ».
Un commerce pas négligeable
La France, c’est aussi le premier pays exportateur de vin en termes de valeurs. En 2013, le commerce du vin s’élevait à 7 milliards d’euros environ , et en 2019 ce n’était alors que la valeur de l’exportation durant le 1er semestre. Des mesures contraignantes pour la publicité du vin, même au nom de la santé publique, porteraient un coup dur à ce commerce. Et puis comme le dit « Vin et société » : « Quelle image sommes-nous en train d’envoyer aux 31 millions de Français qui dégustent du vin raisonnablement entre amis ou en famille? Quel signal envoyons-nous au monde entier qui nous envie le vin, symbole de notre art de vivre et de notre pays? ». Il a fallu trouver un contre-balancier des politiques de prévention – qui elles sont soutenues par la science on rappelle – afin d’assurer ce commerce, bien que la loi Evin interdise la publicité de l’alcool. Et justement…
En 2015, un amendement dans le cadre de la loi Macron a été voté et a eu pour conséquence d’assouplir la loi Evin concernant la publicité de l’alcool, notamment du vin, et il y a un peu de « Vin et société » dans l’histoire. Depuis, une distinction est faite entre information et publicité de l’alcool. Il devient plus compliqué d’attaquer en justice une publicité pour l’alcool dès lors que l’on n’arrive pas à prouver qu’il y a bien eu un acte de promotion. Cet amendement était vivement controversé, Marisol Tourraine à l’époque ministre de la santé y était clairement opposée. Pour ne citer que le député PS Gilles Savary :
Cet amendement « ne remet nullement en cause, ni l’esprit, ni la lettre de la loi Evin, mais vise à éviter que, dans notre pays, dont la tradition viticole ancestrale s’est fortement imprimée dans la culture, et désormais dans notre économie et dans les rares succès de notre commerce extérieur, il devienne risqué pour un journaliste, un cinéaste ou un romancier d’évoquer nos produits vinicoles ou d’y faire référence ».
Tiens tiens, ça ressemble à du déjà entendu non ?
Le vin, un alcool comme les autres… sauf en cash
Niveau taxation, c’est également un festival d’incohérences. Si les fortes taxes dissuasives sur le tabac doivent « en théorie » et en partie permettre de résorber le coût de prise en charge par la sécurité sociale, les taxes sur l’alcool, notamment le vin, ne sont pas proportionnées pour la même chose. Normalement en plus de la TVA, il y a un « droit d’accise » qui s’ajoute sur certains produits, comme le carburant, le tabac, le luxe etc… C’est pour ça que la taxe du tabac est disproportionnée devant la véritable valeur des paquets de cigarette, cet impôt indirect dépend du produit et n’a pas une part fixe comme la TVA. Ainsi, le droit d’accise représente 65% du prix du tabac, 32% du prix d’un alcool fort et seulement 1% du prix du vin. Ce dernier étant pourtant l’alcool le plus consommé, il est également le moins taxé, représentant en tout 3,6% du total des droits d’accise. L’alcool fait tout de même plus de 40 000 à 50 000 morts par an, derrière le tabac avec ses plus de 70 000 morts par an, mais il rapportait 3 fois moins à la sécurité sociale que les ventes de cigarettes.
Quand les politiques s’en mêlent
On vient de voir que la politique en France en matière viticole et vinicole est plutôt en leur faveur, elle ne suit pas vraiment les recommandations des médecins et spécialistes, ce qui ne facilite pas les campagnes de prévention contre les risques liés à l’alcool, et tend même à les minimiser. Mais plus que la politique, il y a LES politiques.
Le 16 janvier 2019, Didier Guillaume, ministre de l’agriculture, a déclaré en direct : .
« Le vin n’était pas un alcool comme les autres. »
Ça n’a pas manqué de fâcher les médecins qui ont rappelé qu’ils traitaient tous les jours des comas éthyliques au vin. Emmanuel Macron ne cache pas non plus son affection pour le vin, et va même jusqu’à se confier :
« J’ai été élevé par mes grands-parents qui avaient cette formule : Le vin rouge est un antioxydant. Il n’y avait pas de caractère culpabilisant ». Tout en ajoutant ensuite « […] Évidemment, il faut le faire avec modération. Mais cela participe de notre civilisation. »
On retrouve encore ici le champ lexical historique, traditionnel voire patriote du vin. Et puis cela jusqu’à ce qu’il ressorte la formule de Georges Pompidou : « N’emmerdez pas les français ». Enfin, les mêmes politiques sont toujours au rendez-vous pour la promotion d’événements récurrents en lien avec le vin, comme la sortie chaque année du Beaujolais nouveau pour n’en citer qu’un. On comprend aisément que la banalisation passe par des prises de position publiques favorables aux producteurs et à leurs produits, souvent en décalage avec les recommandations en terme de santé publique, participant de surcroît à l’instauration des idées reçues, comme celle des bienfaits antioxydants du vin, telle rappelé par le président.
Le vin, un alcool comme les autres… sauf dans la loi
Vous vous rappelez que quel que soit le processus par lequel on produit de l’éthanol, on aboutit à une boisson alcoolisée dans tous les cas à la fin ? Et bien il s’agit du point de vue scientifique uniquement car en France il en est autrement du point de vue juridique.
L’article L3321-1 du code de la santé publique entretient le doute en séparant les boissons fermentées en dessous de 18° et les “alcools”. Voyez la subtilité, sûrement sur laquelle a joué le ministre de l’agriculture en disant que le vin n’était pas un alcool comme les autres. D’ailleurs, dans cet article, une boisson en dessous de 1,2° d’alcool est considérée comme une “boisson sans alcool”.
Conclusion
Résumons un peu tout ça. Tout d’abord, à la moindre molécule d’éthanol (même homéopathique :troll:) dans une boisson, on obtient une boisson alcoolisée, et le vin en fait parti. La consommation d’alcool n’est pas anodine : derrière le côté festif auquel elle participe, elle est également à l’origine de nombreux accidents, de maladies, de décès, de violences conjugales… Et le mythe selon lequel une consommation raisonnée de vin serait bénéfique, ce qu’on pourrait appeler un effet d’hormèse – lorsqu’une substance est bénéfique à petite dose et toxique à forte dose – et bien… n’est qu’un mythe. Il a été démenti encore récemment, le premier verre induit un risque légèrement plus élevé de développer une pathologie et une consommation raisonnée l’induit sur toute la durée en comparaison d’une absence de consommation. Factuellement il en est ainsi.
Toutes ces idées concernant les bienfaits du vin, ou du moins l’innocuité de sa consommation “raisonnée”, tiennent principalement d’une politique et des politiques favorables au commerce du vin, d’une pression de groupes d’intérêts viticoles, d’une mauvaise instrumentalisation d’études scientifiques et d’une banalisation de ce produit dans l’espace public. Tout ceci sous couvert de patrimoine, de culture, de tradition, de liberté et de responsabilisation de la consommation. Enfin, la psychologie et la sociologie expliquent également une bonne partie de la rémanence de ces idées reçues. En effet, l’alcool a, comme nous l’avons dit plus tôt, un effet désinhibant, et un rôle de lien social, qui contribuent à son acceptabilité et à la justification de sa consommation, malgré la connaissance des risques. Il est donc compréhensible qu’on puisse se raccrocher à des soit-disant bienfaits pour se rassurer : le moindre côté bénéfique est à prendre, de l’œil du consommateur.
Alors soyons clairs, le but n’est pas de faire la morale en disant de ne pas boire ceci ou de ne pas boire cela, ni d’interdire la vente de quoi que ce soit. Le but n’est pas non plus de juger l’activité de lobbying des associations viticoles, ou de remettre en cause le bien-fondé de la viticulture. L’objectif est avant tout de simplement dresser un constat en avançant des faits concernant ce sujet qui est bien souvent mal abordé publiquement. Fort heureusement depuis ces dernières années, les médias s’emparent majoritairement du sujet en étant en phase avec ce qu’en dit la science. Et globalement malgré ce qu’on pourrait penser après avoir lu cet article, les sondages d’opinion montrent que les citoyens sont plutôt conscients des différents risques liés à l’alcool, même si certains sont largement minimisés.
Bref, là où des arguments pauvres pour favoriser l’image du vin sont proférés, avec beaucoup d’idées fausses et fallacieuses, il paraît normal d’armer les esprits avec des faits et d’arrêter que l’on fasse croire qu’une consommation de vin pourrait être bonne pour la santé. Surtout aujourd’hui, quand le gouvernement décide finalement de stopper la mise en oeuvre et la médiatisation du Dry January qui devait inciter à l’abstinence pendant le mois de janvier, et sachant que l’opinion est déjà divisée sur la nécessité de mener une politique de santé publique visant à protéger les individus des problèmes liés à l’alcool. Ce mois de sensibilisation est censé ramener de la réflexion sur la place de l’alcool dans notre société. Il n’y a aucune volonté d’entraver une quelconque liberté de consommation des consommateurs. Les acteurs impliqués dans les problèmes d’addiction sont de toutes façons conscients de l’inefficacité d’une politique prohibitionniste. Néanmoins n’oublions pas que l’alcool et sa consommation n’engagent pas seulement le consommateur sur leurs conséquences, la responsabilité individuelle se heurte à la responsabilité collective. Attention donc à ces rhétoriques basées sur les “N’emmerdez pas les français” qui ne balaient pas les faits, loin de là.
Pour finir, rappelons encore une fois que dans l’histoire, la science n’était pas vraiment en cause. Il arrive parfois que l’interprétation des auteurs sur une association statistique soit peu prudente et suggère certaines choses extraordinaires de prime abord, c’est vrai. Il arrive également que les protocoles soient délibérément biaisés pour aboutir à un résultat particulier, là on peut remettre en question le bien-fondé et l’éthique en effet. Il arrive même que les résultats soient trafiqués : on rentre dans le cadre de la fraude. Mais là, dans le cas des études sur le vin des années 80 aux années 2000, les extrapolations que se sont permis les alcooliers étaient bien trop grossières pour être considérées comme de simples erreurs de pratique scientifique – et parfois ils tiraient des conclusions sur des études qui ne parlaient même pas du vin !
Comparer les controverses et les activités de lobbying a tendance à mener vers certains conclusions hâtives concernant le lien entre la science et l’industrie, mais en pratique ce n’est pas si simple et pas souvent strictement comparable . La controverse du tabac des années 50 ou celles du vin des années 90 à nos jours sont des illustrations particulières qu’il convient de ne pas généraliser : si on se penche sur la science dans ces contextes justement, on remarque qu’elle va à contresens de ce que promeuvent les industriels. Plus encore, il ne faudrait pas que cela amène à sous-estimer l’impact des médias et des relations publiques, qui ont parfois un rôle plus important à jouer qu’un simple papier publié dans The Lancet dans la construction de l’image et la communication d’une industrie : quand le doute et les mythes se fabriquent par certains, il faut bien que d’autres les propagent.
Avant de nous quitter, astuce santé : si vous voulez profiter de propriétés antioxydantes de polyphénols, buvez du thé vert chaque jours, au moins les études sont un peu plus prometteuses.
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